Dans les années 1980, la théorie d’Howard Gardner sur les intelligences multiples a donné un coup de plumeau au poussièreux test de Q.I. comme mode d’évaluation d’une intelligence unique. Selon Gardner, il n’y aurait pas une intelligence mais 8. L’élève qui gigote tout le temps au fond de la classe n’est peut-être finalement pas le cancre que l’on croit… mais un élève doté d’une intelligence corporelle-kinésthésique développée. De quoi repenser nos pratiques pédagogiques ? On part à la rencontre de nos réseaux neuronaux, pour vous expliquer tout ça.
Sommaire
Si vous n’avez que 5 minutes : les intelligences multiples en bref.
Howard Gardner est enseignant à Harvard, psychologue, professeur d’université et neurologue. Il est à l’origine de la publication du livre Frames of Minds : The Theory of Multiple Intelligence en 1983. Ses recherches auprès de personnes ayant subi des lésions au cerveau et auprès de personnes atteintes d’autisme ont montré que l’altération de certaines capacités intellectuelles n’empêche pas les autres de fonctionner normalement, voire à la perfection (comme l’exemple d’une personne autiste capable de rejouer entièrement un concerto après une seule écoute). C’est en partant de ces observations qu’il a développé l’hypothèse des intelligences multiples.
Selon Gardner, il y en a 8. En général, 4 prédominent chez une personne. Ces intelligences fonctionnent en complémentarité : notre cerveau fait appel à plusieurs d’entre elles et parfois certaines prennent le dessus sur d’autres. Ces intelligences sont plus ou moins développées chez chacun et les capacités évoluent avec les expériences éducatives et culturelles et bien sûr, avec l’entraînement.
On vous présente ces 8 intelligences :
- L’intelligence logique – mathématique
Vous êtes forts en maths ou aux échecs ? C’est cette intelligence qui permet de résoudre des problèmes arithmétiques mentalement, des défis logiques et stratégiques, de faire des inférences, de tester des idées et des solutions, de classifier, hiérarchiser, identifier des régularités, de voir les rapports de causes à effets, et d’argumenter.
- L’intelligence verbale – linguistique
Vous êtes à l’aise avec les mots, à l’écrit comme à l’oral ? Vous avez une bonne mémoire pour les noms, les lieux, les dates ? Les personnes chez qui cette intelligence prédomine ont un goût avéré pour la lecture, disposent d’un large vocabulaire avec des significations complexes. Elles maîtrisent l’art des jeux de mots, aiment raconter des histoires, débattre, et apprécient la poésie.
- L’intelligence visuelle – spatiale
Cette intelligence fait appel à la capacité de visualiser les choses
mentalement, afin de réaliser des dessins ou des représentations graphiques. Elle prend aussi en compte le fait de se déplacer ou à déplacer des objets mentalement dans l’espace et le “sens de l’orientation”. Les personnes chez qui cette intelligence est particulièrement développée apprécient particulièrement les arts visuels et peuvent récréer de mémoire des scènes détaillées.
- L’intelligence corporelle – kinesthésique
Elle permet d’imiter les gestes et d’exécuter des séquences de mouvements. Les personnes ayant développé particulièrement ce type d’intelligence comprennent comment fonctionnent les objets en les manipulant, apprécient les activités manuelles et sportives, et communiquent facilement leurs idées et leurs émotions par le mouvement.
- L’intelligence musicale
Si vous êtes particulièrement à l’aise pour discerner les différents tons, les
différents sons et rythmes, si vous vous souvenez facilement de mélodies et de motifs rythmiques, il y a de forte chances que vous ayez une bonne intelligence musicale. Celle-ci sert à recréer des sons, des rythmes, à comprendre leur signification, à synchroniser différents motifs musicaux.
- L’intelligence interpersonnelle
Vous êtes comme un poisson dans l’eau lorsqu’il s’agit de comprendre la personnalité, les sentiments et intentions des autres ? Vous adaptez souvent votre comportement en fonction de votre interlocuteur ? Ce sont les caractéristiques de l’intelligence interpersonnelle qui permet d’établir des relations avec autrui, de coopérer, gérer un groupe, d’enseigner, de faire preuve d’empathie et de sensibilité pour les autres.
- L’intelligence intrapersonnelle
Vous savez vous fixer des objectifs et les atteindre, vous connaissez bien vos forces et vos faiblesses ? Une intelligence intrapersonnelle développée permet d’apprendre de ses succès et échecs, de connaître son processus d’apprentissage, de comprendre ses émotions, et d’être en accord avec soi-même dans différentes situations sociales.
- L’intelligence naturaliste
Vous êtes très concerné(e) par la protection de l’environnement ? Vous collectionnez les minéraux ou vous connaissez de nombreux noms d’oiseaux ? L’intelligence naturaliste inclue les capacités d’observer, de différencier, de catégoriser les éléments de la nature et du vivant, la compréhension des animaux, des végétaux et des phénomènes naturels.
Saurez-vous déterminer les compétences où vous êtes le ou la plus à l’aise ? On vous propose un petit test, pour vous ou vos élèves à la fin de cet article.
Avec la théorie de Gardner, il apparaît que le Q.I. n’évalue en fait que l’intelligence logique – mathématique et l’intelligence verbale – linguistique. Ce qui relègue par exemple l’intelligence visuelle de Picasso, l’intelligence musicale de Bach aux notions abstraites de “talent”, ou de “don” et discrimine certains types d’intelligence.
Ce qu’apporte Gardner, c’est un changement dans la manière de considérer l’intelligence : il ne s’agit plus de la quantifier mais de la qualifier afin de mieux connaître ses forces et de voir les points d’améliorations. Sa théorie questionne la manière d’enseigner en mettant la différenciation pédagogique au cœur du débat. Puisqu’il y aurait différents chemins de raisonnement, il a donc différents chemins d’apprentissage. Comment tenir compte des différences entre les élèves ? Comment éviter de mettre en difficulté les élèves chez qui les intelligences logique – mathématique et verbale – linguistique sont les moins développées ?
Nous allons vous montrer ce qu’il se passe dans notre cerveau, d’après l’éclairage récent des technologies d’imageries cérébrales. Elles permettent d’affirmer l’existence de 7 intelligences. Et la huitième ? L’intelligence naturaliste est difficile à confirmer scientifiquement. Il semblerait en fait qu’elle soit une composante de l’intelligence logique-mathématique appliquée à la nature.
C’est parti pour un voyage dans notre cerveau ! Vous verrez que c’est plutôt simple, pas de mots compliqués comme “cortex cingulaire antérieur” dans cet article !
Ensuite, nous verrons comment adapter les pratiques en classe en fonction des différentes intelligences de vos élèves. Enfin, nous étudierons les résultats des applications de cette théorie dans l’enseignement.
Bonne lecture !
Comment ça se passe dans notre cerveau ? (Si vous avez une intelligence logique – mathématique, vous voulez forcement savoir)
Les données scientifiques récoltées grâce à l’imagerie cérébrale permettent d’affirmer que certaines zones récurrentes s’activent lorsqu’un type d’intelligence spécifique est sollicité.
Par exemple, 4 zones entrent en activité pour des exercices caractéristiques de l’intelligence musicale.
Zone 1 : Percevoir les différents timbres.
Zone 2 : Anticiper et résoudre les attentes musicales, battre la mesure.
Zone 3 : Mémoriser des mélodies et les restituer.
Zone 4 : Distinguer la hauteur des sons et analyser les mélodies.
D’autres données viennent avérer cette théorie : certaines lésions peuvent affecter l’intelligence d’un individu. Par exemple en 1848, Phineas Gage, un ouvrier américain, fut incapable de déchiffrer ses émotions et de prendre des décisions suite à un traumatisme localisé dans une des zones de l’intelligence intrapersonnelle.
Il existe donc une cartographie du cerveau, un travail en réseau des neurones : des connections sont établies entre différentes zones éloignées qui ne dépendent pas forcement des organes des sens. Ces zones s’activent en complémentarité selon les situations.
Comment une intelligence devient-elle dominante ?
Il faut savoir que chez les jeunes enfants, c’est l’intelligence kinesthésique et l’intelligence musicale qui prédominent. Les autres zones vont se développer progressivement. Par exemple, ce n’est qu’à l’âge de 4 ou 5 ans que l’enfant se rendra compte que les autres ont des pensées différentes des siennes : l’intelligence interpersonnelle commence à se développer. Même si l’hérédité joue un rôle dans le développement précoce de quelques intelligences, celui-ci n’est pas linéaire, mais dynamique et pluriel. La progression de l’enfant dans certains domaines (apprendre les nombres, apprendre à parler) ne va pas impacter que ses intelligences verbale – linguistique et logique – mathématique mais également les autres : les différentes intelligences se complètent et interagissent au fil des expériences. Les intelligences dominantes ne sont pas figées dans le temps. Néanmoins, pour certaines, un petit effort pourra permettre d’aller très loin, tandis que pour d’autres, il faudra beaucoup d’entraînement pour arriver au même point.
Qu’est-ce qui fait que l’on utilise une intelligence plutôt qu’une autre ?
Dans votre cerveau, il y a une zone dont on a pas encore parlé : la zone où se situe l’intelligence de sélection. C’est en quelque sorte le coach de toutes les autres zones : elle choisit qui joue ou ne joue pas sur le terrain. Et on vous dit son nom parce qu’il est plutôt simple : le Cortex préfrontal. Son rôle, c’est de choisir la bonne intelligence au bon moment. Pourquoi ? Parce que nos intelligences dominantes peuvent nous tromper. Ah oui ?
On vous explique la petite expérience des jetons de Piaget :
1/ OOOOOOO
2/ O O O O O O O
Un enfant de 7 ans dira qu’il y a plus de jetons dans le deuxième cas. C’est son intelligence visuelle – spatiale qui domine. Un enfant plus âgé fera appel à sa notion de nombre : son coach aura choisi de donner la balle à l’intelligence logique – mathématique.
Un autre exemple. Si le Cortex préfrontal donne le dessus à l’intelligence interpersonnelle lors d’une rédaction de groupe, cela peut également empêcher l’élève de s’exprimer pleinement dans sa créativité. Ce dernier aura peur de ce que penseront les autres et les idées originales dont il pourrait être capable ne viendront pas.
Pour que le coach apprenne à faire jouer les bonnes intelligences au bon moment, il faut de l’entraînement : le rôle de l’école est aussi d’éduquer à résister à l’intelligence qui domine pour permettre aussi aux autres formes de se développer. L’intelligence de sélection est un des meilleurs indicateurs de la réussite scolaire de l’élève.
Comment tenir compte des intelligences multiples lorsqu’on est enseignant ?
En maternelle, cela semble plutôt simple. Il est possible de répartir les élèves dans différents ateliers : un atelier logique – mathématique avec des jeux de nombres, de logique, un atelier musique avec la mise à disposition d’instruments de musique, le coin visuel – spatial avec avec des puzzles et ainsi de suite. On observe les enfants qui iront naturellement vers les ateliers où il seront le plus à l’aise. Cela permet de déterminer le profil des élèves et de former des groupes de travail cohérents où les notions seront abordées selon les différentes intelligences.
Au primaire, les enfants peuvent coller des images sur les thèmes qui les inspirent : bouger, manipuler les objets / chanter faire de la musique / dessiner, regarder des images / jouer à des jeux de logique (dominos, dames, casse-têtes) / collectionner des éléments de la nature et observer les animaux / jouer à plusieurs, se faire des amis / lire des livres et raconter des histoires… Les thèmes qui posséderont le plus d’images correspondront aux intelligences dominantes de chaque élève.
Au collège, il peut s’agir de faire passer un test aux élèves qui cocheront les affirmations qui leur correspondront le plus. Par exemple “j’aime lire”, “j’aime peindre et dessiner”, “j’aime comprendre comment les objets fonctionnent ”, etc. Le cours de SVT sur les neurones peut être un moment propice pour donner ce test aux élèves et leur faire remplir la carte de leur cerveau.
Une fois le profil des élèves établi, l’enseignant peut mieux adapter sa manière d’aborder les apprentissages. Par exemple, faire comprendre la notion de soustraction en enlevant une note d’une mélodie pour les élèves ayant une intelligence musicale développée. Un élève kinesthésique pourrait également apprendre le phénomène des plaques tectoniques en mimant. On peut ainsi imaginer des séquences mêlant des activités pour les différents types d’intelligences. Les professeurs connaîtront les stratégies pédagogiques à privilégier en classe et pourront aussi effectuer des regroupements d’élèves.
Un exemple de séquence sollicitant plusieurs intelligences.
On s’est prêtés au jeu pour essayer d’imaginer un exemple de séquence prenant en compte les intelligences multiples pour le collège.
En Histoire-Géographie 6e : Les relations de l’Empire romain avec les mondes anciens.
- L’intelligence logique – mathématique et interpersonnelle :
Les élèves doivent tenir un carnet d’échange de marchandises : la soie pour la Chine, les pierres précieuses, les parfums et les plantes aromatiques pour les Kouchans, le vin et le corail pour les Romains. Les Parthes sont les intermédiaires et sont payés en pièces d’or. Les élèves doivent troquer des images représentant ces différents éléments et tenir un carnet pour compter et classifier les échanges réalisés entre eux.
- L’intelligence verbale – linguistique
Les élèves peuvent écrire un court texte sur la fabrication de la soie ou du papier ou travailler sur un dialogue à l’oral entre un mandarin et un romain.
- L’intelligence visuelle – spatiale
Il peut s’agir de visualiser les itinéraires, les routes maritimes et terrestres avec une vidéo d’une carte animée (flèches, différentes couleurs pour caractériser les empires), l’élève peut également réaliser des schémas pour expliquer les dangers rencontrés sur la route de la soie et les moyens utilisés pour se protéger.
- L’intelligence corporelle – kinesthésique
On peut demander aux élèves de mimer une scène de vie quotidienne des caravaniers : voyage, ravitaillement, échanges de marchandises, etc.
Certaines matières sont plus propices pour effectuer des synergies entre les intelligences. L’enseignement des Mathématiques peut relier l’intelligence visuelle – spatiale avec la géométrie et l’intelligence logique – mathématique avec la résolution de problèmes par le calcul. On peut aussi s’appuyer sur la réalisation de dessins ou de schémas pour expliquer des notions. Les découvertes les plus importantes des scientifiques célèbres sont venues de modèles spatiaux et non de raisonnements mathématiques !
Pour l’enseignement des langues, on peut solliciter l’intelligence musicale en complémentarité de l’intelligence verbale – linguistique grâce à l’écoute de chansons en langues étrangères, ou à la répétition de mots de vocabulaire en suivant un rythme par exemple. Un professeur d’anglais a d’ailleurs tenté de faire apprendre les verbes irréguliers à ces élèves… en rappant ! Vous pouvez le voir en action ici. Et ça marche : plus de 3 millions de vues sur YouTube !
Mesurer l’impact de la prise en compte des intelligences multiples.
Une étude poussée a été menée aux États-Unis auprès de 10 écoles appliquant le principe des intelligences multiples dans le cadre du projet de recherche sur les apprentissages Harvard Project Zero. Le projet, crée en 1967 est toujours en cours actuellement. 80 % des enseignants notent une amélioration de la participation des parents, 80 % constatent une amélioration du comportement des élèves ayant des difficultés d’apprentissage (motivation, efforts, relations sociales). 41 écoles font partie du projet Harvard Project Zero, nous attendons donc la suite avec une étude sur un échantillon plus important.
De manière générale, on constate que le principe des intelligences multiples aide les élèves à trouver leur place dans la classe et évite la stigmatisation de ceux qui sont en difficulté à l’école. Ils sont rassurés et l’atmosphère de la classe change. Quant aux parents, ils comprennent davantage leurs enfants et peuvent mieux les encourager dans leurs apprentissages. Du coté des professeurs, intégrer les principes des intelligences multiples permet parfois un changement d’attitude : plus de bienveillance envers l’élève dissipé, qui gigote tout le temps au fond de la classe.
Alors, êtes-vous prêt à changer la manière dont vous concevez certaines séquences ? Nous vous proposons un petit test, adapté à vos élèves, qui permettra de découvrir les intelligences dominantes de chacun. N’hésitez pas à partager vos expériences à la communauté en commentaire 🙂
Pour aller plus loin on vous propose quelques pistes de lecture :
- B. Campbell et al., Les intelligences multiples au service de l’enseignement et de l’apprentissage, Chenelière éducation, 2006
- Bruno Hourst, À l’école des intelligences multiples, Hachette Éducation
- Interview d’Howard Gardner pour Cahiers Pédagogiques n°437, novembre 2005
Bonjour quel est l’auteur de cet article s’il vous plait? Surtout pour la séquence d’apprentissage. Merci beaucoup ! 🙂
Bonjour,
Merci pour votre retour ! 🙂
Les articles qui sont publiés sur ce blog sous tous écrits par Lelivrescolaire.fr. Évidemment, à chaque fin d’article, vous retrouverez une bibliographie détaillée.
Bien cordialement,
Charline du Livrescolaire.fr
Bonjour
Je suis enseignante d’anglais en Algérie et je m’interesse énormément à la théorie des intelligences multiples de Gardner. Merci pour cet article très enrichissant. Mais qu’en est il de l’intelligence existentielle
L’imagerie cérébrale n’a pas pu localiser sa zone d’action ?
Merci
Malika
Bonjour,
Les IM me laissent plus que sceptique, un peu de lecture pour comprendre pourquoi :
//www.researchgate.net/publication/317588262_Que_dit_la_science_a_propos_des_intelligences_multiples
Bonjour,
je me permet de préciser qu’à ce jour, on ne parle plus d’intelligences multiples mais plutôt de talents. Gardner (Multiple Intelligences: Prelude, Theory, and Aftermath. In Scientists Making a Difference, édité par Robert J. Sternberg, Susan T. Fiske, et Donald J. Foss, 167 70. Cambridge: Cambridge University Press, 2016) reconnaît lui même qu’elle n’est plus à jour sur le plan scientifique.