Le gros problème de la mémoire ? C’est qu’elle oublie ! Le cerveau efface en permanence les informations dont il n’a plus l’utilité. Mais les neurosciences et les nombreuses recherches sur le sujet nous permettent aujourd’hui de savoir comment consolider notre mémoire à long terme. Apprendre oui, mais en connaissant le fonctionnement de son cerveau, c’est encore mieux !
Dans cet article, on vous donne la recette pour mieux mémoriser. Avec en bonus un focus sur quelques techniques qui aideront vos élèves à mieux retenir leurs leçons. ????
Les 3 mémoires
En réalité, il n’y a pas une mémoire mais trois, comme les recherches d’Atkinson & Shiffrin (1960) l’ont montré : la mémoire sensorielle, la mémoire à court terme (ou de travail) et la mémoire à long terme. Le cerveau peut contenir un nombre d’informations plus ou moins grand dans chacune de ces trois mémoires, avec une durée de rétention plus ou moins longue. L’information est d’abord captée par un ou plusieurs de nos 5 sens : notre mémoire sensorielle la retient durant moins d’une seconde. Ensuite, la mémoire de travail transforme ces informations en deux modèles : soit en images, soit en mots. Puis, elle établit des liens entre l’information et d’autres informations antérieures. Enfin, l’information est intégrée par la mémoire à long terme sous un des deux modèles.
Mais « long terme » peut signifier un jour comme plusieurs années : tout dépend du nombre de fois où l’information a été récupérée dans la mémoire à long terme pour être « réactualisée » dans la mémoire de travail.
Comment récupérer cette information pour la ramener à la mémoire de travail ? Tout simplement en se posant des questions ! C’est ce qu’on appelle la mémorisation active, et c’est la plus efficace !
Mémorisation active et mémorisation passive
Mémoriser passivement, c’est lire, relire et re-relire un cours, c’est entendre le professeur parler, c’est regarder des images, des schémas, regarder et écouter une présentation multimédia, assister à une démonstration. Cette technique fonctionne plutôt bien à court terme (la veille pour le lendemain) mais après plusieurs semaines, la plupart des informations sont oubliées !
Pour mémoriser activement, il faut faire l’effort de répondre à une interrogation et réinvestir ce qu’on a appris. Qu’est-ce que je sais sur… ? Comment dois-je faire pour… ? Plusieurs études ont démontré l’efficacité de cette méthode (Thomson, Wengler et Bartling en 1978).
C’est le cône d’apprentissage d’Edgar Dale qui est le plus souvent utilisé pour visualiser la distinction entre mémorisation passive et active :
Voici également une expérience qui a été faite auprès d’étudiants :
- Un premier groupe devait lire un texte une fois, puis était interrogé une semaine plus tard ;
- le deuxième groupe pouvait lire le texte 5 fois ;
- le troisième groupe devait transformer le texte lu en diagramme sémantique afin d’en dégager le sens ;
- le quatrième groupe devait lire le texte une fois, puis était interrogé juste après. Les étudiants devaient ensuite répondre à 4 interrogations sur plusieurs jours.
Le groupe qui a le mieux réussi est bien entendu le quatrième ! Le cerveau doit sonder ce qu’il a stocké, doit chercher à récupérer le souvenir afin de l’évoquer à nouveau. À chaque récupération, le cerveau reconstruit le souvenir et le consolide. S’il n’y a pas de récupération, c’est qu’il n’y a pas d’utilité et le cerveau « efface » l’information. C’est ce qu’a mis en exergue Eric Gaspar, professeur de mathématiques, lors d’une de ses conférence dans le cadre du programme Neurosup. Il utilise la métaphore d’un sentier : s’il n’est pas souvent emprunté, la végétation reprend le dessus et sa trace disparait. S’il est emprunté régulièrement, le chemin se creuse et s’élargit : l’information circule de plus en plus rapidement et s’inscrit dans la durée.
« Le secret est d’alterner apprentissages et le test répété de ces apprentissages : le nombre d’exercices réalisé a plus d’impact que le nombre d’heures passées à apprendre. »
Le problème avec la mémorisation active, c’est que les élèves ne la mettent pas en œuvre spontanément. Il faut donc leur apprendre comment fonctionne leur cerveau, et surtout faire en sorte qu’ils prennent conscience que leurs erreurs leur permettent de mieux apprendre : c’est en se questionnant que l’on se rend compte que l’on ne sait pas. Il vaut donc mieux lire une fois un texte puis se remémorer ce qu’on a lu juste après, quitte à relire les passages qui restent obscurs, plutôt que lire le texte plusieurs fois d’affilée. C’est l’effort qu’a réalisé l’élève afin de récupérer l’information, en cherchant les indices et en reformulant si possible, qui est important. Et il faut veiller à ne pas passer trop vite de la question à la réponse : en effet, il a été montré que lorsque la durée de questionnement est allongée, la rétention d’information est meilleure. Il faut bien laisser le temps à l’élève de chercher les indices et de se remémorer tous les éléments.
Selon la courbe d’Ebbinghaus, autrement appelée « courbe d’oubli », on mémorise très bien durant un très court instant puis on commence à oublier. En répétant ce que l’on souhaite mémoriser, en laissant passer à chaque fois un peu plus de temps entre chaque répétition, on relance notre mémoire. Pour mémoriser à long terme, il faut approximativement revoir les notions le jour même, puis deux jours plus tard puis deux fois la semaine suivante puis deux fois dans le mois qui suit.
Tout commence par l’attention
Le premier pas pour bien apprendre, c’est d’être attentif : faire le choix d’ignorer les informations qu’il ne faut pas traiter. Pour cela, il faut que l’objectif soit clair dès le départ.
« Il faut donner un petit coup de pouce à ce cher cerveau afin de l’aider à comprendre ce qu’il doit retenir. Comment ? En formulant un projet de mémorisation. »
En quoi l’information va être utile ? Dans quel contexte ? Qu’est-ce qui va être expliqué ? Il faut formuler un objectif précis et réalisable. L’enseignant a donc un rôle à jouer avant même de développer le cours. Si l’on reprend la métaphore du sentier, il doit flécher le parcours pour que les élèves puissent orienter leurs pensées ! Les fausses pistes (les stimuli à ne pas traiter), doivent être réduits au maximum. D’autant plus que contrairement aux idées reçues, être multitâche, cela n’existe pas ! En réalité, les personnes qui disent pouvoir faire deux choses en même temps ont juste une très bonne capacité à alterner deux tâches très rapidement. Cette alternance est favorisée lorsqu’une des deux tâches est automatisée. Par exemple, conduire sur le chemin habituel travail-maison tout en téléphonant. Vous comprenez mieux pourquoi c’est interdit : votre cerveau fait des allers-retours entre les deux tâches et n’est pas attentif de manière constante.
« Les recherches montrent que l’attention commence à décliner au bout de 10 minutes. »
Le meilleur moyen pour permettre à vos élèves de garder une attention constante pendant votre heure de cours est de relâcher la pression toutes les 15 minutes en faisant des pauses récapitulatives qui nécessitent une attention moins soutenue de leur part. Elle peuvent par exemple prendre la forme d’un petit quiz où les élèves peuvent se relire pendant 5 minutes puis gagner des points en répondant à des questions « flash »
Deuxième étape : les habitudes évocatives
La première chose que l’élève doit identifier, c’est comment il retient le mieux. En d’autres termes, quelles sont ses habitudes d’évocation mentales ou son « langage mental » ? Est-il davantage visuel ? auditif/verbal ? kinesthésique ? Sans oublier que l’on peut combiner plusieurs perceptions sensorielles tout comme on peut combiner plusieurs types d’évocations, mais cela s’apprend ! Plus les évocations sont précises, plus cela influe positivement sur l’apprentissage.
Voici quelques pistes qui permettront de vous aiguiller sur les habitudes d’évocation mentales de vos élèves. Elles peuvent tout à fait se cumuler, voire évoluer durant l’année.
L’élève visuel transforme les mots en images, retient les formes, les couleurs. Dans ce cas, la trace écrite doit être soignée : mise en relief des mots clés, et de la structure grâce à l’utilisation d’un code couleur et d’illustrations. L’élève peut s’aider en créant des images mentales associées à un texte.
L’élève verbal/auditif retient en écrivant, en lisant mentalement ou à voix haute, en récitant : lire et s’enregistrer en train de commenter ou de lire sont donc les meilleures stratégies.
L’élève kinesthésique « ressent » les mouvements. Il apprend en mimant, en se déplaçant, il utilise ses mains et son corps. Il peut par exemple s’imaginer en train d’écrire, accompagner sa leçon de gestes pour mieux la retenir.
Pour aider vos élèves à repérer leurs habitudes évocatives, vous pouvez leur poser la question suivante : dans cet exercice, as-tu eu des images en tête, est-ce que tu t’es parlé ? As-tu ressenti des émotions, des sensations dans ton corps ?
Vous pouvez également leur proposer de petits exercices plus concrets en passant à la pratique :
Avec un poème, une chanson :
- Est-ce qu’ils se représentent les mots avec des images concrètes ?
- Est-ce qu’ils photographient la forme du texte et la longueur des vers ?
- Est-ce qu’ils répètent les mots dans leur tête, est-ce qu’ils les font chanter ?
- Est-ce qu’ils ont l’image des mots écrits en toutes lettres en tête ?
Avec un schéma, une carte de géographie, une figure géométrique :
- Est-ce qu’ils la commentent mentalement avant de la/le « photographier » ?
- Est-ce qu’ils réussissent à revoir le dessin mentalement sans pour autant revoir les textes ou les symboles ?
- Est-ce qu’ils voient les mots et les signes, comme s’ils étaient écrits au tableau ?
Pour réaliser un mouvement :
- Est-ce qu’ils se représentent mentalement en train de faire ce mouvement ?
- Est-ce qu’ils revoient le modèle à imiter ?
- Est-ce qu’ils ont en tête les consignes à reproduire ?
- Est-ce qu’ils réentendent les paroles de leur instructeur ?
- Est-ce qu’ils ressentent dans leur corps les mouvements du geste à exécuter ?
Pour créer des habitudes évocatives complémentaires et plus riches, il faut agir consciemment au départ pour que cela deviennent ensuite un automatisme du cerveau. Prenons l’exemple d’un élève ayant une habitude évocative auditive. Lorsqu’il est attentif et se remémore les informations, il réentend le professeur parler ou il commente mentalement. Pour varier son évocation, il peut par exemple imaginer qu’il est en train de dessiner un schéma, ou d’épeler un mot en le visualisant. Un élève ayant une habitude évocative visuelle pourra décrire mentalement l’image qu’il a recréée pour faire intervenir le langage, il pourra aussi imaginer qu’il écrit un mot.
Il faut cependant garder à l’esprit que le cerveau évolue en permanence. Au moment où vous lisez cet article, vous n’avez plus le même cerveau qu’hier : c’est la fameuse « plasticité cérébrale ». Il n’y a donc pas de langage mental figé et unique. Ce qui est certain, c’est qu’associer différentes stratégies de mémorisation renforce l’évocation de ce dont on doit se souvenir. Il faut donc essayer le plus possible de rassembler plusieurs évocations en mêlant gestes, langage et images.
Dernière étape : les stratégies de récupération
L’indice récupérateur est une sorte d’hameçon qui permet d’aller pêcher le bon poisson dans l’océan de la mémoire. Vous pouvez tirer sur le fil et faire remonter toutes les idées que vous aviez associées à l’indice. Il faut donc créer volontairement des indices tout au long de l’apprentissage. Plus cet indice est personnel et relié aux émotions, plus il sera efficace. La présence d’un lien logique entre l‘indice et l’idée est primordiale pour que l’indice fonctionne.
« Plus les indices sont activés, plus le rappel sera efficace et rapide. »
Les indices récupérateurs doivent figurer sur les fiches de révisions : dessins, mots clés, cartes mentales, catégories, etc.. Ils permettront à l’élève de récupérer toutes les informations du cours.
Il y a plusieurs stratégies de récupération :
- Utiliser les catégories et sous-catégories (liens logiques, sémantiques)
Pour apprendre tous les pays de l’Union européenne, on peut regrouper les pays slaves, les pays méditerranéens, les pays scandinaves, mais aussi classer par ordre alphabétique, ou par nombre de syllabes. Lorsqu’il est question d’une grande quantité d’informations à retenir, les catégories facilitent considérablement la tâche !
S’il ne s’agit pas d’une liste de pays ou de verbes irréguliers mais d’un cours de sciences, les cartes mentales obligent à trouver les informations principales, à réfléchir pour établir des liens et à associer les bons mots-clés. Le fait de construire sa carte permet de restituer une première fois le cours et de poser la question : qu’est-ce qui est important ? Cela permet de hiérarchiser l’information en thèmes, sous-thèmes, et d’y rattacher des mots-clés.
- Utiliser les mots
Il est possible soit d’utiliser un mot-clé soit une phrase-clé qui peut être vue comme un plan de rappel, une organisation d’indices. De même, créer une petite histoire autour d’une leçon permet de récupérer facilement plusieurs idées. Par exemple, pour se remémorer les préverbes inséparables des verbes en allemand, il est possible d’écrire la phrase : Cerbère gémit en enfer pour zer be er ge miss ent emp ver.
- Utiliser les images
Elles peuvent être isolées ou recréer un « film » avec un enchaînement de situations. Plus les images que vous associez sont exagérées afin de provoquer des émotions plus elles donneront vie à votre souvenir. Il faut également ajouter le plus de détails possibles pour que l’image soit claire et puisse être récupérée facilement.
Zoom sur l’exercice du palais de la mémoire
Le palais de la mémoire est un exercice qui illustre bien la puissance de la visualisation, des mots et de l’utilisation de liens logique. C’est la méthode SEL : Sens – Enfance – Lien. Lorsqu’on fait appel à nos sens, le cerveau encode donc une vraie expérience. « Enfance » désigne le fait d’inventer une histoire autour du souvenir. Enfin, le fait de créer des liens permet à chaque item d’en attirer un suivant. L’exercice du palais de la mémoire consiste à utiliser un lieu bien connu (le fameux palais), des réceptacles pour y mettre les idées à retenir, et y ranger des images mémorables, puis de suivre un itinéraire logique dans votre « palais » à la recherche des éléments que vous avez rangés et cela, plusieurs fois.
Nous avons créé un petit exemple pour retenir le nom des 10 pays membres de l’ASEAN. On peut prendre pour palais votre maison ou appartement, avec les réceptacles suivants : votre boite aux lettres, votre placard, votre plante verte, votre poubelle, votre table, votre tapis, votre canapé, votre armoire, votre lampe de chevet, votre lit. Vous imaginez d’abord l’itinéraire qu’il vous faut prendre pour rejoindre ces différents réceptacles. Maintenant, il faut créer une image à partir de ce que vous souhaitez retenir, de préférence un objet. Plus elle est exagérée ou drôle, plus elle sera mémorable.
Pour l’Indonésie : je mets un très gros domino dans ma boite aux lettres, il a du mal à passer dans la fente et je dois forcer. (Indonésie/ un domino : le début est le même phonétiquement)
Pour la Malaisie : je pose un défibrillateur rose fluo très lourd dans le placard de mon entrée. (malaisie/faire un malaise : défibrillateur)
Pour les Philippines : je m’aperçois qu’à côté de ma plante verte dans la cuisine pousse une rose rouge géante pleine d’épines. (Philippines/épines)
Singapour : je jette une banane noire pourrie dans la poubelle. (Singa -pour/pour-ri)
Et ainsi de suite ! L’important et d’avoir clairement les images en tête pour recréer les scènes en faisant appel aux sens en ajoutant des couleurs, des odeurs et des gestes. Il vous suffira de reprendre le chemin vers chaque réceptacle plusieurs fois pour retenir à coup sûr les 10 pays !
Les outils à votre disposition pour favoriser la mémorisation active
Voici quelques idées de rituels à mettre en place pour aider vos élèves à mieux mémoriser :
- Créer des encarts de mémorisation pour accompagner vos cours : des fiches de questions/réponses, des schémas à compléter, de mots croisés, des textes à trous, un tableau à remplir ou de simples questions. Vous pouvez les accompagner d’indices, pour guider les élèves, même si les meilleurs indices sont ceux qu’ils se créent eux-mêmes. Il peut être intéressant de rajouter un ou plusieurs niveaux d’indices afin de rallonger la période de questionnement. Pour mieux faire ressortir la structure du cours, proposez des questions précises classées par notions pour permettre aux élèves de bien identifier à quel thème et quel sous-thème se rattache la question et de se rappeler le contexte.
- Proposer des jeux de mémorisation que les élèves pourront utiliser à la maison autant de fois qu’ils le souhaitent pour réviser : vous pouvez par exemple créer des quiz interactifs illustrés avec l’outil Quizlet.
- Réactiver ce qu’ils ont appris à chaque cours en utilisant l’outil Plickers qui permet de mettre en œuvre facilement des questions « flash » pour toute la classe et de recueillir les réponses de tous élèves simultanément dans une interface statistique très claire.
- Faire une synthèse des choses essentielles à retenir à la fin du cours : vous pouvez d’ailleurs faire contribuer les élèves à l’élaboration de cette synthèse commune.
- Utiliser des flashcards ou cartes mémoire : au recto de la carte, une notion, un mot ou une formule, au verso, la définition, la traduction ou l’explication. Elles permettent de questionner vos élèves et de visualiser le nombre de flashcards qu’ils connaissent. Une carte est apprise lorsqu’ils se sont interrogés à des intervalles de temps de plus en plus longs et qu’ils donnent tout de même la bonne réponse. En s’interrogeant, les élèves trient ensuite les flashcards en trois tas de cartes : non apprises / à revoir / apprises. Pour les cartes « à revoir », les élèves ont donné la bonne réponse une fois mais devront la revoir et se réinterroger 2 fois la semaine suivante, puis 2 fois durant le mois suivant avant de la placer dans le tas des cartes apprises. Vous pouvez créer de belles flashcards avec l’outil graphique Canva.
- Faire créer une fiche avec les indices récupérateurs à la fin de votre cours : dessins, cartes mentales, mots-clés… Chaque élève doit créer ses indices personnels sur sa fiche. Pour les cartes mentales, ils peuvent par exemple utiliser l’outil Popplet.
Ça y est ! vous avez toutes les clés en main pour bien mémoriser cet article ! Des questions ? Des suggestions ? Laissez-nous nous un commentaire !
Pour aller plus loin :
- Le site web de Neurosup
- Le site web sciences-cognitives.fr
- L’article Quand le souvenir induit l’oubli sur coginnov.org
- L’article Le “Palais de la mémoire”, une technique pour tout retenir sur sciencesetavenir.fr