Ces dernières années, le nombre d’élèves allophones en collège général et lycée professionnel ne cesse d’augmenter. On peut le constater au moment des mutations : une ouverture en hausse de postes spécifiques en Français Langue Seconde. Peu d’enseignants bénéficient d’une formation pour s’adapter à ce nouveau public. La même question revient alors régulièrement : comment prendre en charge ces élèves ? C’est pourquoi, nous avons décidé de partager ici les expériences de professeurs de la communauté, de collège général et de lycée professionnel, autour de l’inclusion des élèves allophones. Ce sujet vous intéresse ? Vous pouvez retrouver notre article en vous rendant juste ici ! 😉
Nous inaugurons ce recueil d’expériences avec Raphaël Seve, professeur de Lettre-Histoire et Géographie, au Lycée professionnel Simon Lazard (Sarreguemines).
Sommaire
Combien d’élèves allophones avez-vous à charge cette année ?
Quel niveau scolaire ont-ils ?
J’avais plusieurs élèves allophones lorsque je travaillais au Lycée des Métiers Benoît Fourneyron, à Saint-Étienne. Au lycée Simon Lazard, j’en ai une, en pâtisserie. Elle est plus âgée que le reste de sa classe. En Première, ils ont 16 ans, 17 ans, Dahlia en a 21. Il y a un décalage.
Elle est Irakienne. C’était une très bonne élève, qui suivait une scolarité dans son pays. Lorsque l’on discute avec elle, on s’aperçoit très rapidement qu’elle a de grandes capacités.
Quel est le suivi et quelles sont les perspectives pour ces jeunes ?
Sur mon ancien poste, une structure avait été mise en place. Dans mon poste actuel, il n’y a pas de dispositif dédié aux allophones. Lorsque les élèves arrivent, ils intègrent une formation d’un an et après, quelle que soit leur évolution, il n’y a plus de prise en charge. On envoie ces élèves en lycée professionnel, ils vont aller jusqu’en Terminale, car il n’y a plus de redoublement. Mais en Terminale, ils échouent et ensuite il n’y a plus de suivi.
Il y a une distinction importante à faire au niveau de l’âge. Peut-être qu’au collège ils ont encore des facilités, au niveau de l’apprentissage, pour apprendre une nouvelle langue. Mais, j’imagine qu’à 20 ou 21 ans, c’est vraiment très compliqué…
Je pense également, sans surprise, qu’il n’y a pas assez de moyens. On fait tous le même constat.
Qu’en est-il pour Dahlia ?
Dahlia avait un projet professionnel en Irak et une fois arrivée en France, il a fallu tout réapprendre. Elle s’est retrouvée en pâtisserie par hasard. Elle ne se destinait absolument pas à travailler dans ce secteur. C’est une élève brillante qui avait plutôt prévu de longues études. Ce n’est pas évident pour elle, car en arrivant en France à 17 ans, elle part avec beaucoup de handicaps.
Les expériences en entreprise se passent bien pour Dahlia même si elle rencontre des difficultés avec les termes techniques. Bien que ce ne soit pas ce qu’elle souhaite faire, elle s’applique. Souvent ce sont les professeurs en pâtisserie qui lui trouvent des stages. Ils demandent régulièrement à des amis et des collègues des personnes de confiance. Ainsi ils peuvent expliquer le profil de l’élève et c’est souvent des pâtissiers qui sont très patients. Elle n’est pas livrée à elle-même. Il y a une vraie volonté de la part de l’équipe pédagogique d’accompagner les jeunes dans leur insertion professionnelle, ne pas les laisser livrés à eux-mêmes.
Avec un baccalauréat professionnel, elle aura la possibilité de faire des études supérieures, mais ce qui va être compliqué pour elle c’est qu’elle a déjà 21 ans.
Comment adaptez-vous vos pratiques et quelles difficultés rencontrez-vous ?
Ce n’est pas toujours évident. À l’écrit, Dahlia se débrouille vraiment très bien. Par contre, au niveau de l’oral, c’est plus compliqué. Elle est vraiment très timide.
En plus, en arrivant en première, on étudie des textes compliqués. Je n’ai pas trop de solutions parce que quelque part il faut bien que j’avance dans mon programme. C’est important pour les autres. Je rencontre beaucoup de difficultés, car je n’ai pas de temps à lui accorder. Je tente au niveau de mes cours de consacrer plus de temps avec elle.
Dahlia est en binôme avec une très bonne élève qui l’aide beaucoup dans la compréhension des consignes et qui l’assiste durant l’activité. Elle a également mon adresse e-mail et m’envoie souvent des messages quand elle ne comprend pas un travail à la maison. En classe, je lui allège les activités : elle ne réalise que ce qu’elle comprend. Je l’interroge régulièrement pour la pousser à participer.
Je regrette néanmoins qu’il n’y ait pas d’Auxiliaire de Vie Scolaire pour l’épauler. C’est un vrai problème et la plus grande difficulté à laquelle je suis confronté : lui accorder du temps durant la séance.
C’est une classe de Première section Pâtisserie. Ils sont douze élèves, mais tous ont un profil particulier et n’ont pas forcément un niveau scolaire bien meilleur que celui de Dahlia. On a l’impression de ne pas trouver le temps pour chacun. C’est dommageable, de mon point de vue. Au niveau des méthodes, j’y réfléchis vraiment tous les jours dans ma pratique : comment améliorer les choses ? Ce n’est vraiment pas évident.
Des moyens vous ont-ils été accordés pour remédier à vos difficultés ?
L’établissement a accordé vingt-cinq heures tremplins pour accompagner cette élève. Du coup, ce qu’on est en train de faire avec Dahlia, c’est une sorte de dictionnaire avec les lettres de l’alphabet. À chaque lettre, elle doit me dire un mot auquel elle pense. Ensuite, elle m’écrit un texte en faisant du mieux qu’elle peut. Puis, on le reprend ensemble. On voit ce qui a été dans la tournure des phrases, au niveau de la langue. Curieusement, elle apprend extrêmement bien l’orthographe. C’est la seule élève qui ne fait pas de fautes dans la classe ! Nous sommes très étonnés avec le documentaliste, car elle nous a écrit des lettres où effectivement, elle ne fait aucune faute d’orthographe ! Elle a très vite acquis la gymnastique grammaticale. Par contre, il y a des mots qui nous semblent évidents qu’elle ne maîtrise pas. On essaye de travailler le vocabulaire. C’est en ça que l’exercice du dictionnaire est très intéressant.
Extraits du dictionnaire de Dahlia
C’est un processus long, mais il lui permet de voir qu’on s’intéresse à elle. Nous souhaitons ensuite le faire éditer, l’imprimer en livre. Elle a décidé de l’appeler « Mon Chemin ». Le but est qu’elle aille le présenter devant la classe pour essayer de l’intégrer.
Justement, quelle relation entretient Dahlia
avec les autres élèves de la classe ?
Elle n’est pas forcément bien intégrée dans la classe. Les autres sont très bienveillants avec elle, ce n’est pas le souci. Mais il y a un côté stigmatisation, ils ne la traitent pas comme une adolescente ordinaire. C’est quelque chose qui l’énerve. Dahlia se sent vraiment à part. Elle a l’impression qu’on la traite comme une enfant alors qu’elle est plus âgée que le reste du groupe.
Quelles sont les ressources que vous utilisez ?
J’ai découvert Genially. Je suis en train de travailler dessus avec une collègue de Saint-Étienne. On a fait une séquence sur Au Bonheur des dames. Les élèves ont des difficultés de lecture alors on a inclus des enregistrements audio. Lorsqu’ils ont des textes à retravailler et qu’ils sont à la maison, les allophones peuvent avoir l’audio en support. Il s’agit d’extraits de lecture que nous avons découpés à partir de vidéos YouTube. Ainsi ils ne sont pas obligés de lire tout le temps seuls dans leur tête, ils peuvent mettre l’audio lorsqu’ils font le travail à la maison. On tente de trouver des solutions pour que tous les élèves puissent faire le travail demandé.
L’avantage que nous avons en Moselle c’est que tous les élèves de lycée sont équipés d’un ordinateur. Nous sommes très axés vers le numérique. Il y a aussi des inconvénients, car il y a des élèves qui ne veulent plus écrire sur un cahier. Mais, globalement, on se dit que c’est une bonne manière de travailler. Je tente de prendre des solutions d’un peu partout. On essaye à notre niveau d’aider chacun.
En quoi est-ce enrichissant de travailler avec des élèves allophones ?
On a des chapitres en Histoire où justement on parle beaucoup des migrations et je leur demande dans ce cas s’ils ont envie de raconter leur parcours. L’année dernière dans mon ancien établissement, à Saint-Étienne, par exemple, un élève m’a répondu qu’il ne souhaitait pas en parler. Il n’y a aucun problème.
Mais souvent, je me rends compte qu’avec les élèves allophones lorsqu’un feeling se crée ce sont les meilleurs. Ils ont envie parce qu’ils savent très bien la chance qu’ils ont d’aller à l’école. L’an dernier au Lycée des Métiers Benoît Fourneyron, je me souviens très bien, j’en avais deux et, à chaque fois qu’il y avait du bruit dans la classe, ils s’énervaient. Ils disaient aux autres : « Mais arrêtez ! On a envie d’apprendre nous ! On est là pour apprendre, on n’est pas là pour faire n’importe quoi ! ». Je trouvais ça très intéressant comme réaction. Même s’ils ne sont pas dans la voie qu’ils souhaitent, il y a une volonté de savoir et de réussir.
Ce que j’aime avec la voie professionnelle, c’est qu’on a une relation très complice avec les élèves. Je trouve qu’ils en ont d’ailleurs besoin, car d’un point de vue plus général, ce sont des adolescents avec des profils sociaux souvent très compliqués. Ils se raccrochent beaucoup à nous. Il y a vraiment une relation très spéciale.
Pouvez-vous nous raconter un souvenir marquant avec un(e) élève allophone ?
C’était en 2017, les élèves devaient remplir une carte : nommer une région et sa préfecture. Nous avons évoqué les Antilles lors d’un cours d’Histoire. À la place de « Dijon », l’élève a écrit « Guadeloupe ». Je lui ai alors signifié que si la Guadeloupe était aussi proche de Lyon, j’y serais tous les week-ends avec ma femme. ! Je me souviens avoir beaucoup ri avec lui de cette réponse.
Copie de l’élève fournie par Raphaël.