Ces dernières années, le nombre d’élèves allophones en collège général et lycée professionnel ne cesse d’augmenter. On peut le constater au moment des mutations : une ouverture en hausse de postes spécifiques en Français Langue Seconde (FLE). Peu d’enseignants bénéficient d’une formation pour s’adapter à ce nouveau public. La même question revient alors régulièrement : comment prendre en charge ces élèves ? C’est pourquoi, nous avons décidé de partager ici les expériences de professeurs de la communauté, de collège général et de lycée professionnel, autour de l’inclusion des élèves allophones. Ce sujet vous intéresse ? Vous pouvez retrouver notre article en vous rendant juste ici ! 😉
Aujourd’hui, découvrons le témoignage de Laëtitia Riche, professeur de Lettres Modernes dans l’académie de Grenoble.
Sommaire
Comment êtes-vous devenue professeure de FLE
et pourquoi avoir fait ce choix ?
Lors de mon arrivée au collège Revesz-Long à Crest (26), en 2018. Des élèves yézidis sont arrivés dans ma classe un matin, sans que l’équipe pédagogique soit prévenue. Je me suis rapidement rendue à la vie scolaire pour savoir qui étaient ces enfants. J’ai obtenu une formation en urgence au CASNAV à Grenoble, en alphabétisation.
Je les ai pris en charge, car personne ne voulait s’occuper des heures de FLE et cette situation m’affectait. Ce n’était pas possible pour moi que ces enfants restent sans aménagement. J’avais reçu quelques cours de FLE à l’université et j’avais une sensibilité pour les langues, le plurilinguisme et les langues minoritaires. En parallèle de ma carrière dans l’Éducation Nationale, j’ai mené une thèse durant sept ans en socio-linguistique sur les langues minoritaires et langues régionales.
Combien d’élèves allophones avez-vous pris en charge durant cette année à Crest ?
J’avais une dizaine d’élèves à charge avec des profils différents : des Kurdes de la communauté yézidi, des enfants de la communauté du voyage et un jeune africain qui avait déjà bénéficié d’une année de FLE.
Depuis cette expérience, je suis amenée à prendre en charge régulièrement quatre ou cinq élèves allophones. Il m’arrive également de compléter le travail du professeur de FLE, car les élèves allophones sont placés en priorité dans mes classes. L’année dernière, par exemple, j’ai aidé un Malien et un Congolais avec des cours d’alphabétisation.
Pensez-vous que votre parcours universitaire soit un avantage pour l’enseignement du FLE ?
Oui, bien sûr. Je prends en considération leur langue maternelle, même si je ne la connais pas. Pour les élèves yézidis, j’avais fait beaucoup d’activités autour de leur langue maternelle. Il s’agit de prendre en compte d’où ils viennent d’un point de vue social, la situation dialectale du pays, de la détresse linguistique dans laquelle les élèves se trouvent.
Je pense que ce n’est pas simplement mes études de socio-linguiste. Nous nous sommes rendus compte avec les autres professeurs de FLE, en nous basant sur les études qui ont été menées en sociolinguistique et en FLE, que notre langue maternelle influe beaucoup sur nos apprentissages.
Quelles sont les plus grandes difficultés que vous rencontrez ?
Sans hésitation, l’immersion en classe soudaine. Nous ne sommes pas informés, la plupart du temps, la veille. Il n’y a donc aucune préparation. On ne nous laisse pas le temps de nous retourner pour trouver des solutions. C’est une situation qui met en panique toute l’équipe pédagogique. On se retrouve dans une situation inconcevable : avoir des élèves en face de soi sans avoir aucune activité adaptée.
Il faut aussi souligner le fait qu’il n’y a quasiment aucun document pédagogique. Nous sommes en permanence en train de faire du bricolage.
Quels sont les types d’activités que vous mettiez en place avec vos élèves ?
Je pars du principe que je ne mets pas les élèves allophones de côté en classe entière. Parfois, je n’ai pas d’heures appropriées pour m’occuper d’eux, c’est uniquement durant mes temps de cours. Les élèves allophones n’ont pas de documents différents. Je m’appuie sur les activités que je propose à l’ensemble du groupe. Selon leur niveau, je m’adapte.
Par exemple, pour l’alphabétisation : découvrir repérer le son [a] ou le son [o]. Je leur demande de l’entourer sur la feuille que j’ai distribuée à l’ensemble de la classe. À partir de cette fiche, on crée ensuite des listes de mots.
Lorsqu’ils sont déjà alphabétisés, je leur demande de reconnaître les mots simples et petit à petit, j’augmente le niveau : formation de phrases, reformulation de ce qu’ils ont compris à l’oral, même s’il ne s’agit que de quelques mots, etc.
Après, en cours de FLE, j’ai essayé d’acheter ce que j’ai pu pour l’écriture et la formation des lettres. Le problème, c’est que c’est très infantilisant. Tout ce que je trouve est du domaine de la maternelle, sauf qu’il est impossible de proposer ce type de contenu à des élèves entre 11 et 15 ans. J’ai entrepris un travail de remaniement des activités de cycle 1 et 2.
Régulièrement, je leur demande de réaliser un petit dialogue à partir de ce qu’ils connaissent en français. On part de cette discussion pour étudier le verbe “être”, le verbe “avoir”, etc. Je me sers des acquis des élèves pour construire la séance. Mais aussi de ce qu’ils connaissent dans leur langue. Par exemple, certains sont scripteurs en arabe ou en kurde. Partir de la lettre dans leur alphabet d’origine pour savoir ce qu’elle devient dans l’alphabet latin. Souvent, il y a même des ressemblances.
Les élèves que vous avez eus en classe étaient-ils scolarisés avant leur arrivée en France ?
J’ai eu les deux cas de figure avec des niveaux bien différents. Jusqu’à présent, j’ai toujours fait beaucoup d’alphabétisation.
Souvent, les jeunes ont été scolarisés dans des écoles coraniques, ce qui sous-entend qu’ils sont scripteurs. En d’autres termes, ils savent écrire, mais ils ne savent pas décoder. Ils sont uniquement capable de recopier. C’est une chose à laquelle il faut faire très attention, car on peut se dire : “Ça y est, c’est gagné, il sait faire les lettres et les formes.” Mais finalement, il n’est pas apte à rentrer en situation de production.
Pour les enfants du voyage, on est sur une scolarité en pointillés. Il s’agit de faire beaucoup de remises à niveau.
J’ai eu à peu près toutes les situations possibles… Le seul cas de figure que je n’ai pas rencontré, c’est l’élève allophone qui a un niveau scolaire égal à celui d’un jeune français et qui a uniquement des difficultés au niveau de la langue. J’ai toujours eu des cas beaucoup plus problématiques de migrations.