Ces dernières années, le nombre d’élèves allophones en collège général et lycée professionnel ne cesse d’augmenter. On peut le constater au moment des mutations : une ouverture en hausse de postes spécifiques en Français Langue Seconde. Peu d’enseignants bénéficient d’une formation pour s’adapter à ce nouveau public. La même question revient alors régulièrement : comment prendre en charge ces élèves ? C’est pourquoi, nous avons décidé de partager ici les expériences de professeurs de la communauté, de collège général et de lycée professionnel, autour de l’inclusion des élèves allophones. Ce sujet vous intéresse ? Vous pouvez retrouver notre article en vous rendant juste ici ! 😉
Aujourd’hui, nous retrouvons Hervé Lefebvre, enseignant de Physique-Chimie dans l’académie de Strasbourg et bénévole à l’association Voisins d’ailleurs. Il nous partage son expérience auprès des élèves allophones.
Sommaire
Quand avez-vous été amené à travailler avec des élèves allophones ?
Dans quel contexte ?
Je suis bénévole de l’association Voisins d’ailleurs, dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile à Ferrette (Haut-Rhin). Je fais partie de l’équipe qui assure des séances de soutien scolaire. C’est à partir de ce moment-là que j’ai été amené à travailler avec des élèves allophones. Je n’avais aucune connaissance en la matière. L’objectif était de faire du soutien scolaire en sciences, essentiellement en mathématiques, mais pas nécessairement d’enseigner le français.
Comment et quand avez-vous intégré cette association ?
Au début, je voyais ce flux migratoire venant de Syrie et je me demandais ce que je pouvais faire. Cette association a été montée fin 2016.
Finalement, en 2017, je suis venu un jour apporter des étagères dont je n’avais plus besoin et la vice-présidente de l’association m’a abordé en me demandant si j’aimerais être bénévole et donner des cours. J’ai tout de suite répondu que je n’étais pas professeur de français et que je ne me sentais pas à l’aise à l’idée d’enseigner le FLE. Elle m’a alors expliqué qu’un groupe de jeunes venait d’arriver et qu’ils avaient besoin d’un prof de maths. C’est comme ça que je me suis retrouvé bénévole de l’association ! 😉
Hervé accompagné par Sidra, Bashar et Ravindu (de gauche à droite), trois jeunes de l’association Voisins d’Ailleurs.
Avez-vous finalement été amené à enseigner le français ?
J’ai, entre guillemets, enseigné un peu à certains qui n’étaient pas scolarisés. Lorsque les jeunes ont 16 ans révolus, la scolarité n’est plus obligatoire. Ce qui signifie que lorsqu’il n’y a plus de place ou plus de financement, ces jeunes restent au centre. Quand je venais, j’en prenais un ou deux en cours de français. Je faisais ce que je pouvais à ma hauteur. Je regardais ce qui était demandé pour les examens au DELF par exemple.
Quels bénéfices tirez-vous de cette expérience de bénévole ?
Cette expérience m’a permis de mieux connaître la problématique des réfugiés. Lorsque je suis en présence de personnes qui tiennent des propos racistes ou qui ont des idées toutes faites sur la question, cette expérience me permet d’argumenter et d’affirmer certaines choses, car je les ai en partie vécues, mais aussi parce que j’ai discuté avec des réfugiés.
Cela m’offre aussi la possibilité de rencontrer des personnes de pays très éloignés de la France. On apprend à les connaître un peu mieux et rendre ces territoires qu’on connaît si peu, plus proches de nous.
De quels pays viennent les familles avec lesquelles vous travaillez ?
Il y a plusieurs nationalités qui se côtoient : des Afghans, des Syriens, des Soudanais, entre autres. Beaucoup d’Africains francophones sont également arrivés avec des difficultés moins importantes car les parents, maitrisant le français, peuvent aider les enfants.
Le centre est devenu un hébergement d’urgence dans lequel les familles demeurent en moyenne 2 à 3 mois. L’accompagnement en soutien scolaire est alors plus délicat. Le centre évolue au gré des besoins de l’office de l’immigration.
Comment gardez-vous le contact avec les jeunes que vous avez suivis ?
Parfois je les vois environ une fois par an. Sinon on garde souvent le contact via Whatsapp ou Messenger. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que souvent ces familles ont des démarches à réaliser. Je continue à les accompagner, en complément de l’assistante sociale qui n’est pas toujours assez disponible. Lorsqu’ils ont un souci, ils me contactent également. Dernièrement c’était une jeune fille syrienne qui vient d’avoir 18 ans au mois de décembre et qui a rempli avec moi, à distance, les papiers pour la carte de séjour. Lorsqu’il y a un climat de confiance important, j’arrive à bien aider certaines familles. C’est très enrichissant pour moi aussi. J’ai tenté d’apprendre l’arabe, mais j’ai du mal ! 😅
Quelles grandes différences constatez-vous entre votre travail d’enseignant et votre statut de bénévole ?
Ce qui est très intéressant à l’association, c’est que les parents sont sur place. De ce fait, lorsque l’on prend en charge un jeune dans la structure, l’on côtoie les familles. Les relations sont différentes de celles que l’on peut avoir lorsque nous sommes à l’école. Lorsqu’il y a un souci, on discute directement avec les parents. C’est plus difficile car ils ne parlent ni français ni anglais, mais ils nous voient. Ils ont en quelque sorte espoir que l’on pourra aider leur enfant à s’en sortir. Ce contact permet d’avoir une efficacité d’action.
Quels sont les profils d’élèves que vous rencontrez en tant que bénévole ?
Comme dans la société, en tant que bénévole on rencontre tout type de profils divers et variés. La plupart des élèves sont très volontaires, ambitieux et soutenus par leurs parents. Pour les familles, l’école est la voie de la réussite.Contrairement à ce que certains peuvent penser, il s’agit de jeunes initialement en difficulté, non pas par manque de travail, de capacités ou d’ambition mais parce qu’il y a eu une rupture dans leur scolarité et de l’anxiété développée par rapport à leur parcours personnel.
J’ai pu constater, lorsque les élèves allophones font des stages en Troisième, les professeurs leur conseillent de ne pas aller vers une filière générale ou technologique, car ils vont vers l’échec. En fait, cela dépend des jeunes. Il y en a certains que j’ai vus progresser très rapidement en français, avec beaucoup d’ambition et de facilités. Pour d’autres, une arrivée en France en fin de collège est malheureusement trop tardive pour envisager une filière générale et donc un passage obligé vers une orientation où le niveau d’exigence dans les matières générales sera moins important pour qu’ils puissent réussir le reste de leur scolarité.
J’ai deux élèves syriens, par exemple, qui n’avaient pas été scolarisés depuis cinq ans. Ils sont donc passés du CM2 à la Quatrième ! Je leur dis souvent qu’ils écrivent mieux que la plupart des élèves français de Quatrième ! S’ils sont bien concentrés, ils arrivent à mieux maîtriser la langue, car ils sont plus attentifs.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre démarche au sein de votre établissement pour accueillir les mineurs allophones ?
Je suis dans un lycée de campagne avec 1800 élèves, dans le sud de l’Alsace. Il s’agit d’un lycée polyvalent. Le centre de demandeurs d’asile se trouve dans une autre zone rurale. Pour les jeunes qui sont au collège, il n’y a pas de souci, car il y a un établissement à côté, mais pour ceux qui sont au lycée, nous sommes obligés de leur trouver une place en internat. Ils sont à peu près à une heure de route du lieu où ils devraient être scolarisés.
Cela fait deux ans que je demande à mon lycée, qui est le lycée de secteur, de mettre en place une section UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants). S’il y a un centre de demandeurs d’asile, il apparaît comme logique qu’il y ait une structure pour accueillir les élèves allophones, pour qu’ils puissent être formés.
Pour la rentrée 2021-2022, la direction académique a accepté de mettre en place une demi-UPE2A : 12 heures. Sur ce temps accordé 9h sont consacrées au FLE et 3h aux sciences. Une collègue va s’occuper de la partie français et moi j’aurai en charge l’enseignement des maths-sciences. On m’a confié ces heures, car je suis impliqué dans la démarche, mais je n’ai encore aucune expérience en tant qu’enseignant auprès des élèves allophones. Par exemple, à la rentrée je ne sais pas encore qui seront mes élèves ni combien ils seront. Ils n’auront pas le même parcours ni les mêmes objectifs.
Pourquoi est-ce aussi important pour vous que cette structure UPE2A voie le jour dans votre lycée ?
Je me rends compte que l’apprentissage du français est le nœud du problème. Pour les jeunes proches de l’âge adulte, s’il n’y a aucune prise en charge, leur seul moyen d’apprendre le français est de passer par un établissement scolaire. En France, c’est quasiment le seul endroit où l’on va apprendre correctement la langue. C’est le seul espace où il y a vraiment une infrastructure pour apprendre et où les jeunes vont pouvoir se concentrer. Il y a des jeunes qui souhaitent apprendre le français et nous avons la chance d’avoir un lycée polyvalent ! On peut donc organiser un emploi du temps aménagé sur mesure. Cela serait vraiment dommage que les jeunes allophones ne puissent pas en bénéficier.
Quel est le souvenir le plus marquant que vous ayez de votre expérience bénévole avec les Voisins d’ailleurs ?
C’est peut-être le premier jour. La première fois que j’ai vu ces jeunes qui étaient en Quatrième et qui venaient de Syrie. Ils ne parlaient ni anglais ni français. L’un d’entre eux avait une cousine qui parlait anglais et qui pouvait traduire un peu, mais qui n’était pas tout le temps présente. J’ai fait des maths avec eux, de l’algèbre. Ils étaient incapables d’aligner une phrase complète et de comprendre la plupart des mots mais on arrivait à communiquer à travers les symboles mathématiques qui eux étaient communs. Ils avaient vraiment envie et se démenaient, autant que moi, pour que l’on arrive à se comprendre. On a fait connaissance autour d’équations mathématiques.
Il y avait une sorte de concours entre ces trois jeunes à celui qui trouverait le plus rapidement le bon résultat. Chacun voulait réussir, mais aussi me montrer de quoi il était capable. Il y a une très grande fierté liée à la réussite et cette envie m’a beaucoup motivé. Je suis vraiment tombé sur un groupe de jeunes qui était très motivé et très sympathique. Cette expérience a marqué le début de mon implication au sein de l’association.