Ces dernières années, le nombre d’élèves allophones en collège général et lycée professionnel ne cesse d’augmenter. On peut le constater au moment des mutations : une ouverture en hausse de postes spécifiques en Français Langue Seconde. Peu d’enseignants bénéficient d’une formation pour s’adapter à ce nouveau public. La même question revient alors régulièrement : comment prendre en charge ces élèves ? C’est pourquoi, nous avons décidé de partager ici les expériences de professeurs de la communauté, de collège général et de lycée professionnel, autour de l’inclusion des élèves allophones. Ce sujet vous intéresse ? Vous pouvez retrouver notre article en vous rendant juste ici ! 😉
Aujourd’hui, nous retrouvons Marie Astrid Chauviré, professeure Histoire-Géographie et EMC dans l’académie de Créteil.
Sommaire
Comment avez-vous été amenée à travailler avec des élèves allophones ?
J’enseigne l’Histoire-géographie depuis 20 ans, au collège Daniel Féry (94). Il s’agit d’un établissement qui dispose d’une classe UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants). J’ai eu pendant plusieurs années des heures spécifiques en histoire-géographie pour les élèves allophones. Mais le dispositif s’est arrêté au profit d’une inclusion totale des jeunes en classe ordinaire sur certains créneaux.
Les élèves allophones arrivent dans nos classes par vagues migratoires. Il y a quelque temps nous avions de jeunes Syriens et Afghans. En ce moment, nous accueillons plutôt des élèves qui viennent de pays de l’Europe de l’Est. Ceux sont des pays avec des systèmes scolaires assez proches du nôtre.
Quelles sont les difficultés que vous-même et l’ensemble de l’équipe pédagogique rencontrez au quotidien dans l’accueil des élèves allophones ?
Tout d’abord, il s’agit la plupart du temps d’enfants qui ont vécu des épisodes traumatisants. Bien souvent, ils n’ont pas non plus été scolarisés ou très peu. L’école dans les camps, ce n’est pas vraiment l’école…
Nous manquons de supports adaptés. Lorsque l’on distribue aux élèves des exercices de niveau CM, ils se sentent vexés. Les documents sont trop infantilisants.
De plus, ils ne bénéficient d’une place en UPE2A que durant une année scolaire, lorsqu’ils arrivent à en obtenir une. Les élèves originaires de pays francophones sont souvent placés directement en classe ordinaire. Or, les jeunes qui arrivent d’Afrique ont un système scolaire extrêmement différent de l’enseignement français.
Lorsque les jeunes sortent totalement d’UPE2A, l’arrivée en classe ordinaire n’est pas toujours évidente. Par exemple, en classe de troisième, j’ai deux élèves guinéens qui sont relativement à l’aise à l’oral, mais qui ont de grosses difficultés à l’écrit. Enfin, l’UPE2A n’est selon moi pas un dispositif adapté aux élèves NSA (Non Scolarisés Antérieurement).
Pourquoi l’UPE2A n’est selon vous pas adaptée pour accueillir les jeunes NSA ?
Le travail est très différent avec eux : ils lisent parfois, mais pas forcément notre alphabet. Il faut donc tout reprendre.
Quelles sont les difficultés spécifiques à l’enseignement de l’Histoire-Géographie et de l’EMC ?
La confrontation au programme d’Histoire est parfois problématique. La manière d’aborder les thématiques est différente dans chaque pays. De nombreux épisodes de notre programme ne sont pas non plus étudiés dans les autres pays. J’étais par exemple persuadée que mes élèves des pays de l’Est connaissaient le tsar Nicolas II. J’ai été surprise d’apprendre qu’ils n’en avaient jamais entendu parler à l’école.
Dans l’académie de Créteil, nous avons la possibilité de participer à un stage pour nous former à l’enseignement de l’Histoire-géographie pour les élèves allophones.
La géographie n’est pas non plus enseignée de la même façon. Par exemple, j’ai un élève qui a mis trois ans pour venir de Syrie. Il a donc beaucoup voyagé, mais il est incapable de situer par où il est passé. Pour se repérer, sa famille et lui utilisaient un GPS avec les coordonnées fournies par les passeurs. Au Portugal également, on étudie très peu la géographie à l’école. Je rêve d’un livre qui répertorie les différents programmes scolaires ! Ainsi, nous pourrions savoir les notions que les élèves ont abordées ou non.
Quels sont les outils que vous utilisez dans votre établissement pour adapter vos pratiques ?
Dans notre établissement, nous avons pris le parti de communiquer avec les élèves allophones en passant par leur langue maternelle. Nous sommes épaulés par des élèves pairs pour traduire. C’est une aide extrêmement précieuse. Par exemple, les Roumains, les Moldaves et les Ukrainiens comprennent tous le Russe. C’est un gros atout pour trouver un élève tuteur.
Je donne les verbes de consignes dans la langue maternelle du jeune. Lorsqu’il arrive en classe pour la première fois, je me présente à lui dans sa langue maternelle. Les élèves sont toujours très surpris qu’on utilise leur langue. Cela me prend seulement deux minutes de mon temps, mais ça prouve à l’élève que je m’intéresse à lui. Google Traduction est un outil qui est devenu indispensable pour arriver à échanger. Les outils numériques que nous avons sont précieux pour ces enfants.
Je fais également de la méthodologie, j’étudie avec eux les exercices types que l’on retrouve fréquemment en Histoire-Géo.
J’utilise tous les supports qui peuvent aider à la compréhension : des supports visuels, des sous-mains avec toutes les consignes dans la matière, les dictionnaires lorsqu’il y en a. Un collègue a également proposé l’utilisation de pictogrammes. J’ai fini par arrêter, car c’était très long à préparer et pas forcément utile.
Même si l’oral est primordial, je tiens à ce que les élèves aient une trace écrite. Ne serait qu’une phrase pour expliquer de quoi nous avons parlé durant le cours. En complément, je leur fournis une photocopie du cours.
En classe de quatrième, par exemple, pour évoquer les valeurs de la République, nous travaillons sur l’endroit d’où l’on vient et où l’on va. Ce projet permet aux élèves allophones de prendre conscience qu’on est tous plus ou moins immigrés. Ils aiment beaucoup cette activité.
Quelles sont les différentes orientations possibles pour les élèves allophones ?
Certains élèves arrivent à poursuivre une très bonne scolarité après le collège. L’une de mes anciennes élèves de troisième – retrouvez son témoignage en fin d’article ! – poursuit actuellement un parcours universitaire prestigieux. Cela varie beaucoup d’un jeune à l’autre. À l’inverse, j’ai eu une élève syrienne qui n’a jamais réussi à lire et à écrire…
Beaucoup de nos anciens élèves nous écrivent pour nous dire ce qu’ils sont devenus !
Questionnaire rempli par une ancienne élève de Marie-Astrid après son départ du collège.